Le jury du Prix Sade s’est réuni le 24 septembre 2016, à la galerie Eof qui abritait l’événement. Lorsque Skype a sonné (on m’avait dit d’être debout, au cas où…) il était 4h du matin à Kyôto. Sur mon écran, une foule de gens sont apparus, qui me saluaient chaleureusement. J’avais l’impression d’être le nouveau-né, accueilli par des infirmières ravies. Il n’y avait pas de retour son. Je voyais les sourires, comme un bébé sourd et ahuri. Il a fallu qu’on m’écrive sur une feuille : « Tu as le prix Sade”. Puis sur une seconde feuille : « Prépare-toi à parler ».
Je me suis demandée pourquoi je l’avais eu, en me mettant à la place des personnes qui avaient pris cette décision difficile : Emmanuel Pierrat (avocat), François Angelier (journaliste), Catherine Corringer (réalisatrice), Jean-Luc Hennig (écrivain), Ruwen Ogien (philosophe), Catherine Robbe-Grillet (écrivain), Guy Scarpetta (écrivain), Jean Streff (écrivain), Laurence Viallet (éditrice) et Gisèle Vienne (chorégraphe)… Mon livre ne parle ni d’un bloc d’abîme, ni de l’esprit des lumières, ni même de comportements radicaux. Puis j’ai compris : oui, peut-être, ce livre parle d’en finir avec la primauté d’un certain droit divin que l’homme s’est arrogé, d’un ordre du monde contestable parce qu’il survalorise le sujet pensant, autonome et libre de ses mouvements, par opposition aux formes d’existence « inférieures ».
Ma recherche sur les love doll est un questionnement : que pouvons-nous apprendre des objets ? C’est aussi une recherche sur la logique qui sous-tend les technologies japonaises : la fabrication des poupées est un bon révélateur de la façon dont on envisage ce qu’est un corps, « la vie » ou « la réalité ». Parler des love doll, c’est remettre en cause le mythe du « Progrès » par la croissance économique, par la natalité, par la robotisation, etc.
« A l’opposé d’un certain discours occidental qui dit que l’être humain est informé par la matière – que ce que nous sommes est biologiquement programmé –, les doller (ドーラ, de l’anglais doll-lover) opposent l’idée que l’information vient d’ailleurs. La poupée n’est pas organique. […] Elle n’est qu’un réceptacle inerte et inanimé dont l’existence ne peut advenir qu’à la condition d’être construite. Son aspect, volontairement artificiel, s’offre à voir comme celui d’une créature en attente : elle est tournée vers ce qui, venant du dehors, sera introduit, ajouté, amalgamé, projeté, versé en elle (ou pas) au gré des désirs”. C’est donc le désir qui préside à son existence. Proposant une autre façon d’être au monde, la love doll stérile est, à sa façon, très contestataire, voire facteur de désordre. De ce point de vue, je crois que le livre Un Désir d’Humain s’inscrit bien dans l’idée du prix Sade, même si bien sûr un gouffre sépare ce « Soleil » des sextoys.