La revue d’anthropologie Cultures-Kairos consacre son numéro 10 au thème des prothèses, un numéro auquel je participe avec une reflexion sur tous ces objets bizarres qui, au Japon, remplissent le rôle de fausses mains. Cela va des mains en silicone qu’on peut coller sur son iPhone (pour serrer une main de femme pendant un appel) et des gants de latex « à la peau blanche » (pour se masturber en ayant l’impression d’être masturbé par une beauté manucurée), jusqu’aux gadgets électroniques qui synchronisent une main articulée avec une vidéo en 3D… La love doll fait partie de ce continuum d’objets qui remplissent le rôle de prothèses sentimentales. L’occasion de remettre en cause la notion habituelle de prothèse comme « outil pour pallier un manque ».
Je défends une thèse contraire, en m’appuyant sur les travaux développés par Henri-Jacques Stiker, Tom Shakespeare, Myriam Winance ou Nicholas Watson (Disability Studies) pour qui le « handicap » n’existe que dans le cadre de sociétés qui accordent la priorité aux notions de performance et de productivité. De la même manière, les love dolls ne pouvaient naître que dans le cadre d’une société qui valorise la famille comme unité reproductive. A ce sujet, le Huffington Post Japan vient tout juste de publier un article sur l’opposition au mariage pour tous : les arguments des opposants sont que si les homosexuel-les avaient droit au mariage, ils n’auraient que « la meilleure part » (tsumami-gui, つまみ食い) sans les ennuis qui vont avec (les enfants). En clair : le mariage doit rester le lieu du devoir (la reproduction). Etant donné qu’il existe déjà, et depuis longtemps au Japon, des moyens juridiques de faire couple avec une personne de même sexe, les revendications des associations LGBT japonaises semblent absurdes. Qu’elles le soient ou pas, il est en tout cas révélateur que les positions sur le mariage soient si définitives : on se marie pour se reproduire (se reproduire sans l’aide d’une tierce personne s’entend). Point barre.
Mon article s’intitule : « La love doll au Japon : une prothèse de couple pour célibataire ? » et présente la love doll comme « pivot d’une mise en scène de soi qui permet de performer le bonheur raté d’être à deux » (ainsi que le formulent magnifiquement Axel Guïoux et Evelyne Lasserre, coordinateurs du numéro « Les horizons prothétiques prochains et lointains: vers quels degrés d’incorporation pour quelles définitions de l’humain? »
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