Il y a 15 ans, en 2001, j’ai découvert les love doll (rabu dôru, ラブドール), auxquelles j’ai consacré un travail de doctorat qui sera publié en septembre 2016 aux éditions Les Belles Lettres sous le titre : Un Désir d’humain. Les love doll au Japon (dans la colection japon dirigée par Christian Galan et Emmanuel Lozerand).
Il est courant de croire que les love doll sont des copies « à la japonaise » des Real dolls américaines. Que le Japon, encore une fois, n’a fait que voler une technologie occidentale. L’histoire est plus compliquée. Les poupées sexuelles dites « en silicone » existent depuis 1997, sous le nom de Real dolls et c’est la firme américaine Abyss Creations qui revendique leur invention. Mais cette « invention » s’appuie en réalité sur l’amélioration d’un système mis au point par la firme japonaise Orient Industry… en 1981. Ainsi que je l’ai découvert, c’est en effet le patron d’Orient Industry, Tsuchiya Hideo, qui a inauguré l’ère des poupées dites « moulées », mettant fin à l’ère des poupées « gonflables ». Ainsi qu’il me l’explique : « Les baudruches de plastique crevaient presque à chaque usage ». Tsuchiya s’est associé avec un fabriquant de mannequins de vitrine pour mettre au point des modèles de poupées increvables, constituées d’un coeur d’uréthane recouvert d’une couche de fausse peau caoutchouteuse. Au départ, la fausse peau était en latex. Lorsque l’Américain Matt McMullen créée la firme Abyss Creations, en 1996, il fabrique des poupées sur le même modèle : ses premières poupées sexuelles sont recouvertes de latex… comme celles qu’Orient Industry fabrique depuis déjà 15 ans ! Mais le latex, fragile, s’abîme vite. Matt Mc Mullen a l’idée de remplacer le latex par du silicone. Le succès des Real dolls est immédiat, international. Orient Industry accuse le coup et met plusieurs années à peaufiner un modèle de silicone (Alice) capable de faire face à cette concurrence. Le succès de ce modèle est tel, sur le territoire japonais, qu’il provoque l’apparition d’une vingtaine de firmes rivales dont la moitié a maintenant disparu. C’est sur ce terrain – celui des fabricants – que j’ai effectué ma recherche de thèse, avec pour objectif de comprendre les techniques mises au point pour donner à ces artefacts l’apparence d’êtres conscients.