On regarde souvent les estampes érotiques japonaises (shunga) en se demandant ce que les personnages racontent. Sophie Makariou, Présidente du Musée Guimet, vient de publier un ouvrage sur les shunga dans lequel j’aborde cette question. Il s’agit du catalogue de l’exposition Miroir du désir, exposition qui dure jusqu’au 10 octobre et permet de découvrir quelques rares estampes du fond Guimet. Dans Miroir du désir, mon article – intitulé « Jouir en silence, l’acoustique des estampes érotiques » – s’attaque à un aspect souvent négligé ou occulté lorsqu’il s’agit des gravures : celle des mystérieux textes inscrits dans l’image. Il s’avère que ces textes sont trop « vulgaires » aux yeux des esthètes qui ne veulent voir les estampes que comme des oeuvres d’art, détachées de toute fonctionnalité masturbatoire.
Les shunga ne sont cependant pas que de belles gravures.
Pour leur donner plus d’impact (en tant qu’adjuvants), les éditeurs de l’époque Edo ont en effet recours à un procédé très proche de la magie opératoire. Ils intègrent aux estampes l’équivalent des bulles de dialogue ou de pensée, les kaki-ire (« écrits insérés »), qui offrent une toile de fond sonore à la scène. Les accouplements s’y combinent avec des mots, parfois des pleurs, des protestations ou des suppliques ponctués de soupirs aux allures d’incantations. Plus les corps se rapprochent, plus les signes s’immiscent dans leurs contours, cernant les enlacements dont ils « mettent en voix » l’excès, de façon parfois décalée, dissonante, voire déconcertante. Qu’expriment les amants pendant l’acte ? Et comment comprendre cette invasion de signe dans un contexte culturel qui veut que l’acte soit muettement accompli ?
Je consacre 12 pages à cette question dans le catalogue qui porte le même titre que l’exposition.
Exposition Miroir du désir – Images de femmes dans l’estampe japonaise. Musée Guimet du 6 juillet au 10 octobre 2016.
Catalogue Miroir du désir – Images de femmes dans l’estampe japonaise, de Sophie Makariou et Agnès Giard, éditions Musée national des arts asiatiques Guimet et Réunion des musées nationaux Grand Palais, Paris 2016.