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Sortie du livre « In-Out. La métaphore du passage »

Cet ouvrage - inspiré des articles publiés depuis 2007 sur le site internet de Libération- est un recueil de textes consacrés à la voraphilie. La voraphilie est un fantasme étrange qui consiste à rêver que l’on est avalé, sucé, ingurgité. Puis, éventuellement, vomi. Ou excrété. On retrouve  l’image récurrente de cette bouche avaleuse et recracheuse dans toutes sortes d’autres fantasmes beaucoup plus courants : ceux qui associent le sexe à un « tunnel ».

Dans l’imaginaire collectif, la sexualité se définit comme une sorte de va-et-vient qui consiste à insérer un tuyau dans un réservoir, une lame dans un fourreau ou l’extrémité d’un bâton dans une encoche et à opérer par friction jusqu’à la naissance de l’étincelle magique… De façon obsessionnelle, tout ce qui « pénètre » et « traverse » évoque l’idée de l’acte sexuel. Nos cerveaux accordent, presque instinctivement, la valeur d’une copulation au passage d’un train dans un souterrain ou d’une racine dans la fissure d’un mur… Ils voient dans le moindre trou la forme d’une vulve traversée par le vent, les lapins ou les algues dans un coït chaotique.

La signification profonde de la sexualité se dissimule peut-être derrière ces images loufoques de bouches, de goulots, de tubes, de terriers, d’aspirateurs, d’os creux ou d’entonnoirs, qui traversent notre psyché… Ces images sont celles d’ouverture sacrées qui mènent vers l’intérieur d’un corps et vers certaines révélations. Ces images évoquent l’idée du passage. Ce qui explique peut-être pourquoi, en matière de sexualité, le discours actuel dominant ne parvient pas à satisfaire sur le plan intellectuel : il est indigent, autant que les représentations courantes du sexe, car il ne rend pas compte de la valeur profondément initiatique des unions entre humains.

Et si la sexualité était autre chose que la simple satisfaction d’un « instinct de plaisir » ou « de reproduction » supposé ? Et si la sexualité représentait un danger ? Aucun passage n’est innocent. Aucun trou ne peut, sans risque mortel, être laissé béant. Et de même que dans nos villes, la voirie prend toujours soin d’entourer les excavations d’une bande de sécurité, les hommes ont toujours pris soin de délimiter l’espace sexuel, synonyme de chute. La sexualité relève du basculement, du vertige et du déséquilibre. Mais qui en parle actuellement ? Le discours « hédoniste » pseudo-déculpabilisant qui règne dans les médias occidentaux ne fait que véhiculer les mêmes dogmes castrateurs que ceux de l’église. Officiellement, « faire l’amour » est affaire de plaisir et de coeur.

Mais si c’était autre chose ? Nous vivons depuis si longtemps dans l’idée rassurante, platement physiologique, que la sexualité sert uniquement à « se faire du bien » (au pire à « faire des enfants »), que nous nous étonnons de ne pas pouvoir regarder paisiblement L’Origine du monde. Le tableau de Courbet suscite encore un tel malaise qu’il est censuré sur Facebook et que les visiteurs de Musée le regardent presque à la dérobée. Une foule s’amasse devant La Joconde. Mais devant L’Origine du monde, il y a comme un vide. Pourquoi ? Parce que l’image du sexe, réduite à l’essentiel, dégage une forme de puissance proche des entrées de caverne ou de gouffres : elle suscite un mélange d’attirance et d’inquiétude qui renvoie à des peurs ancrées profondément en nous. Peur de la mort, peur du vide, peur de l’inconnu, peur de la folie…

Peur à laquelle la sexualité nous confronte chaque jour, sous la forme faussement innocente de ces missiles et de ces fusées qui ont fait de notre espèce à la fois la plus prometteuse et la plus destructrice de toutes les espèces sur terre. Nous n’en sommes peut-être pas conscients, mais la sexualité est une forme de damnation : elle nous pousse à accomplir autant de prouesses que d’horreurs qui ne sont jamais, sur le plan symbolique, que l’expression obsessionnelle de ce désir d’aller et ce désir de revenir.

In-Out. La métaphore érotique du passage, éditions Sancho.
Sortie prévue vers la fin juin 2012.

One Comment

  1. Sophie dit :

    tous vos articles sont passionnants. Une précision sur celui-ci : à votre avis, peut-on élargir la métaphore au passage d’un lieu à un autre à travers une porte par exemple ?

    Enfin, sur l’Origine du monde, l’image du gouffre, comme le développe l’historien de l’art Michael Fried, est très juste mais ne s’applique pas uniquement à la sexualité. Il me semble que l’effet est juste lié à la zone sombre indépendamment du référent.