La revue Terrain vient de mettre en ligne l’Appel à Contributions du numéro 75 que je coordonne sur le thème de l’attachement illicite à un non-humain : « Objets de désir : les attractions fatales ?« . La version en anglais est ici.
Ce numéro est parti de la colère ressentie (il y a deux ans) lorsque Mady Delvaux, à la tête d’une commission en robot-éthique, propose au Parlement Européen une charte « visant à empêcher les personnes de devenir émotionnellement dépendantes de leurs robots ». Appelant les autorités à lancer des programmes d’éducation aux interactions humains-machines, beaucoup de psychologues insistent eux aussi sur la nécessité de limiter les technologies de l’empathie artificielle, c’est-à-dire la capacité des simulacres à simuler. C’est sur ce point aussi que la réflexion portera : pourquoi certaines instances (lesquelles, pour quelles raisons) veulent-elles encadrer ou prohiber l’attachement sexuel et/ou sentimental à des objets ? Que cache cette peur de s’attacher et, par effet de comparaison, que dit-elle de notre culture ?
DESCRIPTIF : Axé exclusivement sur l’attachement amoureux à des objets perçus comme dangereux sur le plan affectif, ce numéro propose d’éclairer les controverses et les débats publics actuels sur les robots de compagnie et les interfaces de dialogue en examinant de manière comparative des cas d’attachements jugés illégitimes. Avec le souci de mettre en regard les conceptions qui président à la création de partenaires, on s’intéressera aux entités soupçonnées d’entraîner l’humain dans le trouble passionnel ou dans la confusion sexuelle : robots, gadgets électroniques, mais aussi poupées, personnages fictifs, sculptures, ombres, statues, restes humains, plantes ou animaux…
Une première question sera celle des techniques et des scénarios mobilisés pour faire de l’objet un-e amoureux-se ou un-e amant-e. Dans quelles conditions les individus développent-ils des relations de coeur-cul aux choses ? Quels procédés, scripts ou rituels (Gagnon 1973 ; Bozon 2016) sont-ils élaborés individuellement ou collectivement en vue de transformer l’objet en partenaire affectif ? Quelles stratégies se dissimulent derrière le fait d’aimer un objet, ou de prétendre l’aimer à l’instar d’un être humain ?
Une deuxième question sera celle des contextes rendant possibles ou non cette forme d’attachement. Comment se dessinent les frontières entre amour licite et illicite pour les objets ? De quelles logiques les objets se font-ils les révélateurs (Gell 1998 ; Latour 2009 ; Haraway 2016) lorsque leur pouvoir d’emprise est perçu comme une menace ? Que cachent les tentatives d’interdire ou d’encadrer l’aptitude qu’ont certains objets à créer de l’empathie ?